C’est Balthazar Gracian qui disait préférer
être grand dans les petites choses que petit dans les grandes, et c’est ce que fait, heureusement ou malheureusement,
Cathy Hayes quand elle grave, en 1959, pour le label HI-FI, un unique album intitulé
It’s All Right With Me réunissant pas moins de 3 sessions d’enregistrement sous la direction de/et arrangées par
Barney Kessel.
Heureusement pour ce qui ressort de l’interprétation magistrale des standards en petites formations des pistes 1, 2, 7, 8, 10, 11, 12 où la chanteuse fait preuve d’un art consommé de la ballade, merveilleusement secondée, comme d’habitude, par les grands mélodistes que sont Larry Bunker au Vibraphone, Barney Kessel à la Guitare, Howard Roberts, qui, signe de respect absolu pour son alter ego, l’accompagne à la Rythmique, Monty Budwig , à la contrebasse, et enfin, un orfèvre de la batterie, Shelly Manne.
Mais la Fine fleur de la West Coast et les idées brillantes de Barney ne suffisent pas à empêcher la débâcle dès que Cathy Hayes se retrouve face à une formation étendue - pistes 3, 4, 5, 6, 9 - et que l’on passe à des tempos plus rapides, soutenus par des sections instrumentales plus puissantes. Bref, quand on met le paquet, Cahty est désorientée et ne suit plus, panique, s’avère incapable de retrouver la belle mise en place des ballades et finalement, ne swingue pas ou plus selon que l’on considère qu’il est possible ou non de swinguer sur des morceaux lents – moi je serais plutôt partisan de la première école, ou alors faut-il considérer que Shirley Horn, qui jusqu’à sa disparition n’a cessé d’étirer le temps dans les ballades, n’avait pas de groove ? Et chanter comme un dératé signifie-t-il que l’on swingue ? Non.
Un cas particulier que cette jolie fille, fragile au point de perdre ses considérables moyens, agoraphobe musicale, reine de la petite forme, mais dont les moyens, dans l’intime, sont tellement considérables qu’elle y brille comme dans un pur et limpide firmament.
Il y a des exemples dans l’histoire de pareils phénomènes :
Schubert qui ne parvenait pas à écrire un opéra qu’il ne réussit pas à achever mais qui s’est avéré le génie mélodique que l’on sait,
Hugo Wolf, qui n’écrivit que des lieder, tous plus beaux les uns que les autres, et
Webern qui suivit admirablement les deux premiers et révolutionna, après
Wagner, la musique par le travers raffiné de formes brèves et sublimes comme les orchidées de montagne qu’il aimait tant observer plutôt que cueillir.
Voici
You Don’t Know What Love Is une magnifique miniature ou passe le souffle d’une tempête retenue entre deux lèvres au profond incarnat. J’ajoute qu’outre la version instrumentale prodigieuse due à Tal Farlow dans un album VERVE éponyme – TAL - je n’en connais pas de meilleure dans le genre
cool.
YOU DONT KNOW WHAT LOVE ISJe précise, qu'après avoir vérifié, je m'aperçois que ceux qui ne possèdent pas le LP original - presque tout le monde -auront du mal à acheter la réédition FRESH-SOUND-FSRCD 055 qui semble actuellement indisponible, sus aux médiathèques et autres services publics, soldeurs et fins de bacs, rien n'est impossible en ce bas monde pour ceux qui s'acharnent. Quant à nos amis japonais, il est ici étonnant qu'ils ne se soient pas encore jetés sur cette perle rare.