FERVENTE BEV KELLY

Au sein du quintet de Pat Moran, outre le drive solide de la pianiste, on n'entend que Bev Kelly. J'ai un souvenir extraordinaire de son Sunday kind of Love chanté avec une sorte de ferveur frôlant la violence. Sans vouloir basculer dans le sexisme, je dois dire ici que j'ai souvent rencontré cela chez les femmes, une passion sans concession, entière et définitive et qui court la tragédie comme le lièvre au travers des champs, comme le vent contre les murs des maisons fermées. Un chant puissant, élégiaque qui, surtout, n'accepte et n'acceptera jamais l'inéluctable, de la force dans l'accablement mais de l'opiniâtreté dans la passion.

Quand on dit que l'amour est plus fort que la mort ; ou quand la force du désir comme consomption contient en soi une promesse de résurrection. Rivette l'a bien compris qui a repris le travail qu'il avait lui-même abandonné dans les années 50 sur son premier scénario, Histoire de Marie et Julien et qui a donné au cinéma un sommet du romantisme sans fard en faisant exploser les règles du temps et les lois de la résignation. Au point que l'auteur de ces lignes, après quelques très déraisonnables verres descendus sous le coup de l'émotion au sortir du cinéma, a cru – comme Dana Andrews dans Laura au moment où ladite sublime créature réapparait - un instant possible ce qui a priori ne l'est pas.

Bev Kelly, irrésistible, intime, gracieuse, inspirée, au sommet de son art si féminin ici accompagnée par le grand Scott La Faro à la contrebasse, Johnny Whited à la Batterie et Pat Moran dans une version étrange, poétique et inspirée de Spring Is Here gravée en 1957 pour le label Audio-Fidelity – AFLP/1874 – et qui devrait renforcer l'idée que le jazz demeure, dans son essence bien plus que dans l'impermanence des formes, une musique de tous les possibles du désir