Les paroles jusqu’au bout des paroles! Chanter une chanson! Simplement. Jusqu’à l’étiage, à cet endroit précis où on prend le risque nécessaire de sortir des mots et de se jeter sous le sens comme on basculerait dans le vide. C’est là aussi, au plus fort du verbe que la voix ivre de vrai de la chanteuse bâloise Miriam Klein se pose en renvoyant les exercices de style exsangues à la mode du vingt et unième siècle à leur clinquante fatuité.
Il y a des road-songs qui sont autant de trajectoires racontées où la question de la linéarité et de la continuité, celle aussi de la discontinuité et des accidents, des ruptures, de l’ivresse du continu et de la fièvre du discontinu de la vie sont abordés comme les termes d’un pari dont-on ne sait jamais combien de temps on va le tenir. Detour Ahead fait le voyage à tombeau ouvert et sans se retourner -
Wake-up, slow down before you crash and break your heart, gullable clown – jusqu’au bout de la nuit et comme dans l’ironie d’un jeu de piste soumis à une signalisation cruelle et ésotérique.
Toutes ces lumières qui défilent dans la nuit des routes en terre devenue étrangère sont autant de morceaux de phrases que la fatigue, cette morphine distillée par les kilomètres oublieux, et les accès furieux et muets de la pluie contre les vitres rendent incompréhensibles. Nous avons tout. Nous perdons tout les yeux ouverts et les mains vides. Nous ne comprenons jamais rien. Nous allons sans voir. Nous reluquons.
Road-song, road-movies. Le trajet comme cri dans la film éponyme de Michelangelo Antonioni - Il Grido - où Steve Cochran part pour revenir en vain puisque tout est déjà consommé dans les premières minutes du film, là, dans ce jardin suspendu dessus du Pô.
C’est dans le temps de l’inutile et du révolu, mais avec la force insistante du désir inassouvi, cette religion désabusée des régions déshérentes de l’âme que Miriam Klein chante, soutenue par le piano atmosphérique de Kirk Lightsey, ce
Detour Ahead, sans l’avant et l’arrière de la marche, avec une douceur dont les échancrures tranchent parfois comme le rasoir avant de prendre la rondeur, mate à 37°5, des heures bées.