Blanche était la voix de Bobby Cole. Et fervente dans le blanc telle la neige répondant aux appels hallucinés lancés depuis les fenêtres par les habitants des fenêtres, ceux qui ne mettent jamais vraiment les pieds chez eux. Blanche et magnétique au point de dérégler le bon sens et probablement n’importe quelle console d’enregistrement puisque ce prieur mesmérique, qui distillait l’héroïne et les vins les plus puissants avec une ardeur extatique, ne fût presque pas enregistré et encore moins réédité. Ce qui fait des gravures de Cole des cires d’une rareté légendaire, rareté pour une fois à la hauteur de son talent.
Les interprétations de Bobby Cole sont autant de voyages d’où l’on ne revient pas, le chanteur dépassant à sa manière la verve apollinienne de son idole, Mel Tormé, pour mettre le pied sur des terres dont l’improbable matérialité se dissout au fur et à mesure que l’on y avance.
Une voix unique et belle jusqu’à inquiéter, ce qui constitue une excellente raison de s’adonner à l’art taoïste de ce chanteur pour qui le vide de l’existence se devait aussi d’être réalisé et qu’il chanta, aux livides antipodes de cette ruisselante matérialité dansée jusqu’à la mort par Sinatra. Il importe, si l’on veut comprendre jusqu’au bout, de savoir que Bobby Cole était le chanteur préféré de Frankie, ce dernier n’hésitant pas - lit-on - à faire élargir les horaires d’ouverture du
Jilly's pour l’entendre encore et encore. Au milieu de la nuit new-yorkaise,
far from the Sands, les leçons de ténèbres, fussent-elles blanches, passent mieux avec le bourbon.
Extraite, au milieu des craquements, du LP'
The Unique Sounds of The Bobby Cole Trio, gravé d’abord pour Concentric Records puis, à un petit nombre d’exemplaires, en 1960, pour Columbia, cette interprétation extraordinaire de
Lilac Wine, standard écrit par James Shelton en 1950 pour la revue musicale,
Dance Me a Song.
Lilac Wine