Ken Nordine est une être magnifique. Je l'ai pensé dès que je l'ai entendu il y a des années. Une voix singulière du jazz qui n'a jamais chanté quoi que ce soit mais s'est contenté de dire ses textes avec un génie de l'ironie et une force poétique sans presque d'équivalent. Fils prodigue du bizarre et de la nuit rêvée à coups de visions inouïes en rafales, de mots déversés rien que pour vous dans cette rivière trop souvent désertée qu'est l'esprit.
Dernier des beatniks, Ken, né en 1920, n'a jamais cessé, depuis
Word Jazz, Son of Word Jazz , gravé pour Dot en 1958, de reprendre le souffle inépuisable, noir, subversif, beau comme la nuit en plein jour, d'un Edgar Allan Poe, là où son propriétaire halluciné avait du se résigner à l'abandonner, à Baltimore, un certain 7 octobre 1849 où on lui fit boire le poison qui eût raison de lui. Mais il a aussi, la verve épique de Kérouac et l'impertinence de Ginsberg.
Nordine parle derrière de roboratives formations cool - Chico Hamilton, Buddy Colette - par exemple - et cela dure des heures et vous entendez ce que vous n'avez jamais entendu, la modernité du diseur chante tous les possibles mais peut aussi tuer, comme la guitare de Guthrie, les mauvaises habitudes.
Le sommet de l'art Nordinien est atteint en1966 avec
Colors où il est engagé par une compagnie de peintures de San Francisco, The Fuller Paint Company pour réaliser de courts spots radiophoniques dans lesquels il est censé improviser sur Bleu, Rouge, Jaune, Blanc, Noir,Vert. Rapidement , tout le catalogue y passe et il se met à délirer à mort et se commet 34 fois d'une manière qui aurait fait sauter de joie André Breton, Tallemant des Réaux et Scriabine réunis. Le jour de 1989 où l'auteur de ces lignes - il avait échangé un disque en double de Tal Farlow contre ce LP alors introuvable - a vu une telle poésie élevée à la nitro-glycérine déferler sur lui, il était très heureusement complètement afghhanisé et a pu en apprécier toute la sublime moelle, le ciel même, au delà de sa fenêtre, lui semblant saisi d'une frénésie chromatique sans nom - il y a quand même de bons et mémorables moments dans cette vie étroite.
Ici, juste sous les fesses de cette baigneuse -
A Red Swimmer - immortalisée par Wiliam Claxton, Ken Nordine dans ses œuvres dans
My Baby, puis, plus bas, un petit film de génie réalisé par Gary Saint Martin sur les paroles de
Down by the Drain où il est question de prendre un bain et de foutre le camp par les tuyaux vers de vraiment nouveaux horizons. Amusez-vous bien - et n'oubliez pas de lire le commentaire assez logique d'un des internautes subjugués sur You Tube.
MY BABYDOWN BY THE DRAIN