Bannister Dom Perignon
Nombre de messages : 1955 Localisation : Paris Date d'inscription : 23/06/2007
| Sujet: TONI HARPER Jeu 1 Mai - 16:35 | |
| En 1945, des centaines de gosses font la queue avec leurs mères et leurs petits frères devant la porte du studio de danse loué par le chorégraphe Nick castle qui cherche une très jeune fille pour un rôle dans Christmas Follies, un spectacle monté au Wilshire Ebell Theatre de Los Angeles. Tony Harper, une gamine un peu timide, les jambes comme des bâtons de sucette, chante Candy Store Blues et décroche le contrat.
La fraîcheur et l'ingénuité de la petite chanteuse ravagent les cœurs d'artichauts des ménagères et des midinettes qui se ruent sur le strip pour acheter et se faire dédicacer ses premiers albums gravés avec Herb Jeffries puis Cab Calloway avec lesquels elle enregistre une charmante ritournelle relativiste nommée You're Too Tall 'n' I'm Too Small.
Après quoi elle tombe, comme tant d'autres enfants prodiges d'Holywood, de Shirley Temple à Mickey Rooney, qui avaient été dévorés crus par la machine cinématographique 20 ans avant, dans le maelström naissant de la télévision. Et la TV engloutit ce petit corps dans les puissants courants générés par le Ed Sullivan Show, passage obligé pour ceux qui ont décidé d'abandonner leur âme aux masses cannibales d'une Amérique insatiable qui commence à avoir faim pour faim et s'apprête à balancer son cerveau aux cochons pour mieux digérer les interminables années de gavage qui s'annoncent.
Toni est partout. En ces temps de matérialisme où l'esthétique puise abondamment entre le rêve hygiéniste et le mauvais goût d'un show-business, lointain écho frelaté des splendeurs compassées de Tin Pan Alley, elle joue le rôle du cordial qui empêche de vomir et vend l'enfance naïve contre les chromes hooveriens des grandes berlines suant le dense et lancées comme des missiles contre les idées sataniques du communisme. Toni chante des chansons mutines et l'électricité passe en silence à travers les corps de Julius et Ethel Rosenberg.
Quand elle n'occupe pas les écrans livides, elle chante et se trémousse sur les scènes New-yorkaises: Apollo, Strand, Paramount qu'elle remplit au point que surviennent des émeutes entre familles. A 11 ans, Toni Harper réussit à faire ce qu'aucune petite fille noire n'avait ni ne ferait jamais: passer à Carnegie Hall dans une invraisemblable robe Chantilly.
Mais elle attrape des fesses, ses seins s'alourdissent, sa voix mue, ses yeux se remplissent d'une étrange lueur mélancolique. Le monde de l'enfance merveilleuse, cette féérie hertzienne dispendieuse déversée à longueur d'ondes choléstérolémiques, se fend un jour comme une panoplie trop longtemps portée.
Toni Harper, menacée par le doigt sévère et hideux de la dépression prend alors ses jambes à son cou et noie peu à peu, il y a tant à noyer, ses années de jeunesse dans l'anonymat des couloirs d'une High School pour gosses de riches.
De tout cela il n'y avait effectivement rien à garder et c'est probablement pour cette raison, parce qu'elle en avait pleinement conscience, que la chanteuse alla frapper à la porte du label VERVE et parvint, non sans mal, à passer une audition, "en tant que femme" pour reprendre ses mots, et convaincre Norman Granz qu'elle était capable de "faire du beau travail avec une petite formation".
Granz dut être plus que convaincu puisque la "petite formation" avec laquelle Toni Harper enregistre, ce mois de décembre 1955, 10 ans presque jour pour jour après les enfantillages du Wilshire Ebell Theatre, est composée du gratin des musiciens sous contrat chez Verve, à savoir Oscar Peterson, Herb Ellis, Alvin Stoller et Ray Brown.
La magie s'installe dès le premier titre de cet album dénommé simplement Toni. Ce n'est plus, en effet, une petite fille embaumée par les prêtres en tergal du showbizz que l'on entend, mais une jeune femme pleine de ferveur amoureuse et dont la voix sensuelle et entêtante porte la profondeur de ces années de jeunesse perdue dont Toni Harper disait qu'elle les avait traversées à la manière d'une somnambule, se reconnaissant à peine dans les films et les émissions de TV auxquelles elle avait participé.
Écoutons ce You Don't Know What Love Is d'une sincérité bouleversante pour nous en convaincre. YOU DON'T KNOW WHAT LOVE IS
Extrait de l'album "Toni" - POCJ - 2662 - gravé le 29 décembre 1955 pour le label VERVE en compagnie d'Oscar Peterson (piano), Herb Ellis(guitare), Alvin Stoller(batterie), Ray Brown(contrebasse). | |
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stephane Jeroboam
Nombre de messages : 118 Date d'inscription : 24/09/2007
| Sujet: Re: TONI HARPER Ven 2 Mai - 8:22 | |
| Je ne connaissais pas cette chanteuse. Merveilleux grain de voix. Merci pour la découverte ! | |
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ptilou Nabuchodonosor
Nombre de messages : 703 Localisation : Paris Date d'inscription : 03/08/2007
| Sujet: écouté 3 fois... Sam 3 Mai - 13:00 | |
| Un seul mot : superbe ! | |
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zetlejazz Réhoboam
Nombre de messages : 205 Date d'inscription : 30/08/2007
| Sujet: Re: TONI HARPER Lun 5 Mai - 2:55 | |
| Merci pour l'invitation car quelle bien belle surprise, quelle voix cette Tony Harper que je ne connaissait pas ! Et puis quelle sacrée mélodie que ce "You don't know what love is", un standard qui me touche particulièrement, un standard qui me parle plus que beaucoup d'autres, même si je les aime aussi. Et puis un standard à ne pas mettre entre tous les mains, la ballade, c'est toujours l'heure de vérité ! PS: N'hésites pas à me prévenir lorsque tu refais une soirée comme celle-ci ! | |
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