CARMEN MCRAE

Carmen McRae, une noire qui ressemblait à une indienne, s’est avancée sur la ridicule petite scène du Minton’s Playhouse a appelé – Barry - Galbraith qui était dans la salle avec sa guitare et s’est mise à jouer The Thrill is Gone avec un style très distingué, un peu à la manière d’Erroll Gardner, vous voyez, et puis elle a chanté le refrain. Quand ils se sont arrêtés, on n’entendait pas même les bruits de verre et les conneries habituelles. Jimmy Knepper s’est retourné vers moi et m’a dit, cette fille est dingue, elle n’est pas dans le temps, mais bon dieu, quelle classe ! Disait l'opiniâtrissime Dean Benedetti.

Pour comprendre que la manière de chanter de Carmen McRae est exceptionnelle et presque incompréhensible, il faut imaginer un métronome battant très légèrement, mais avec une régularité digne d’une horloge atomique, à contretemps de la mesure admise par la section rythmique. Un métronome doué de parole, à savoir d’une diction souveraine, véritable forme en mouvement et mue seulement par la syntaxe de longues phrases aux sinuosités délicates et déliées, étincelantes et légères matérialisations du vent dans le vent, soudain alourdies par le sens puis libérées au point de se fondre dans le blanc sans fin des silences éloquents.

Merveilleuse voix et construction toujours faite et défaite d’ombre et de reflets où la lumière ne cède jamais complètement et semble, après dissipation, aussi irréversible et irrésistible qu’un adorable ciel de printemps. Ainsi vont comme des miniatures au teint de porcelaine les ballades somptueuses que la chanteuse ponctue et fait vivre très intensément, avec une distinction et une précision qui eussent fait pâlir un horloger de la Chaux de Fond.



Les 12 albums gravés pour le compte du responsable du label DECCA, Milt Gabler ou pour une de ses divisions, KAPP, sont une suite ininterrompue de miracles musicaux qui, à l’écoute, provoquent sans peine la fonte des neiges les plus tenaces.

Ainsi le Book of Ballads gravé en 1958 et dont les 12 pistes sont plus belles et plus parfaites les unes que les autres. Carmen Mac Rae est accompagnée par un quartette constitué de Joe benjamin(Basse), Charles Smith (Batterie) et Don Abney (piano) lui-même parfois accompagné, sur quelques plages, en finesse et en légèreté par une section de cordes dirigée par Frank Hunter.

En définitive, et chacun le comprendra immédiatement en écoutant ce disque, c’est de perfection dont-il s’agit, au point de rendre presque impossible l’audition de l’ensemble des morceaux tant on est saturé de beauté et d’émotion, tant y est dense et profond l’art de chanter. J’écris cela en pensant à certains vieux Tokays ou vins de paille, fines sans âge, si intenses qu’impossibles à boire en grande quantités.

Autant d’humanité en si peu de temps.

Le plus bel album d'hommage à Monk est sans doute...

Carmen sings Monk (01 à 03 / 88)

G Mraz, Al Foster, Clifford Jordan, Charlie Rouse et deux autres pianistes.
Rarement quelqu'un a repris aussi bien et réinterprété Monk à ce niveau là.
Un bijou de discothèque

AMHA

Ah bouteillon ! excellent !
moi qui sur un bateau me traite toujours de moussaillon !

Bon vent à VOICES !

et puisse Ptilou braver les tempêtes!

Trouble is a Man en 62

Rom a écrit:

Trouble is a Man en 62

C'est bien de renvoyer sur You Tube, moi je n'ai pas encore pris le réflexe. Et quelle interprétation! Quelle distinction naturelle!

J'ai vu Carmen McRae pour la première fois à la télé dans un documentaire sur Monk présenté par Jon Hendrickx. Elle chantait 'Round Midnight. J'en ai encore des frissons plein le corps !
C'est depuis une de mes chanteuses préférées, pas loin d'être la première d'ailleurs, derrière l'indéboulonnable Billie.
Ce qui frappe dans le chant de Carmen c'est son utilisation de la diction, sa manière unique d'articuler les mots. Elle joue avec le temps ainsi, l'arrête, le suspend, le reprend...

Duppy a écrit:

J'ai vu Carmen McRae pour la première fois à la télé dans un documentaire sur Monk présenté par Jon Hendrickx. Elle chantait 'Round Midnight. J'en ai encore des frissons plein le corps !
C'est depuis une de mes chanteuses préférées, pas loin d'être la première d'ailleurs, derrière l'indéboulonnable Billie.
Ce qui frappe dans le chant de Carmen c'est son utilisation de la diction, sa manière unique d'articuler les mots. Elle joue avec le temps ainsi, l'arrête, le suspend, le reprend...

Le temps suspend en effet son vol, pour reprendre une expression un peu usée. La version de How Long Have This Been Going On dans Ballads illustre très bien ce que tu dis, Duppy, la fin de Angel Eyes, d'une violence abrupte, aussi. Et dans les espaces ainsi libérés de la routine, l'imagination est à l'oeuvre et de quelle manière!

Petite illustration du temps suspendu (cd dont Carmen est issue)


et d'autres:Astrud Gilberto / Betty Carter / Carmen Mc Rae / Chet Baker / Ella Fitzgerald / Fred Astaire / Mel Tormé / Nnenna Freelon / Rosemary Clooney / Sarah Vaughan

Rom a écrit:

Petite illustration du temps suspendu

J'ai pris un peu de temps pour acquerir ces ballades, il semblerait que c'était aussi une excellente pianiste.

J'avais complètement zappé cette voix, honte à moi ! La vido Youtube (Trouble Is A Man)... Comment une telle puissance peut-elle dégager autant d'émotion, de douceur et de fragilité... J'en suis toute retournée.
Merci pour cette belle découverte !

Carmen McRae est une artiste à laquelle je me suis fort peu intéressé est je m'aperçois combien j'ai eu tort. Et, pour reprendre ma blague favorite, chacun sait que le tort tue...

Johnnie a écrit:

Carmen McRae est une artiste à laquelle je me suis fort peu intéressé est je m'aperçois combien j'ai eu tort. Et, pour reprendre ma blague favorite, chacun sait que le tort tue...

Diable ! aurais-tu soulevé un lièvre ?

46610 a écrit:

Johnnie a écrit:

Carmen McRae est une artiste à laquelle je me suis fort peu intéressé est je m'aperçois combien j'ai eu tort. Et, pour reprendre ma blague favorite, chacun sait que le tort tue...

Diable ! aurais-tu soulevé un lièvre ?

C'est à peu près ça. Quoi qu'il en soit le lièvre et la tortue de la Fable sont très actuels, je trouve. Exemple parmi d'autres : l'Eurostar coincé sous le chanel pour cause de court-circuit provoqué par la neige fondue. Mais, comme le patron de cette taule est british, on ne peut s'étonner de tels errements...

Le tort tue, et là tu meurs !

Je ne résiste pas à l'envie de vous faire écouter ces deux magnifiques morceaux, extraits de l'album Bittersweet, enregistré le 20 mai 1964, avec Norman Simmons (piano), Mundell Lowe (guitare), Victor Sproles (bass) et Curtis Boyd (drums).

If You Could Love Me


Second Chance

If You Could Love Me

Manuk a écrit:

Je ne résiste pas à l'envie de vous faire écouter ces deux magnifiques morceaux, extraits de l'album Bittersweet, enregistré le 20 mai 1964, avec Norman Simmons (piano), Mundell Lowe (guitare), Victor Sproles (bass) et Curtis Boyd (drums).

If You Could Love Me


Second Chance

Admirables citations qui, dans une ordonnance parfaitement désabusée, posent la question de la seconde chance sans qu'il soit nécessaire d'y répondre, puisqu'il n'y en a pas. Opiniâtreté fatiguée de Norman Simmons - à 25 ans, il ressemblait à un vieillard musclé - jeu filé et terriblement intime de Mundell Lowe, un homme de l'art.

Un très grand morceau de solitude, l'air de rien, à savoir l'air de tout.

Merci Manuk pour ce second souffle sans lendemain que plus aucun producteur n'aurait le courage de graver quand l'heure est aux jérémiades.

Cela sature grave quand même.. un peu moins sur la seconde chance
Très joli titre !