Ce sont deux jeunes chanteurs, un grand brun avec des faux airs de Martin landau et une très jolie blonde vénitienne et minérale qui, elle, m’a toujours fait penser à Eva-Marie Saint, Jackie Cain et Roy Krall, qui firent, subjuguant duo vocal, les beaux jours de l'année 1948 au sein de l'orchestre de Charlie Ventura où ils brillèrent le temps de quelques saisons comme, je vous assure, jamais formation vocale depuis n’a brillé.
Jackie, violoncelliste de formation classique, avait commencé à, chanter en 1946 à Chicago avec le Quartet de Georges Davis et y avait rencontré Roy Krall frère de la – remarquable -chanteuse Irène Krall.
Mais laissons la parole à William H. Korst, jeune et infatiguable chroniqueur de la presse locale :
Jackie Cain travaillait au sein du Quartet de Georges Davis, avec son petit ami Roy krall au piano, dans un endroit sur South Western Avenue à Chicago appelé Jump Town. Je suis sur que c’est à cette époque qu’ils ont enregistré des titres pour le label Aristocrat … un peu après, Jackie et Roy ont rejoint le groupe de Charlie Ventura à l’Hôtel Shermann. On peut aussi lire dans
Down Beat du 27 août 1947 - qui a l'inénarrable saveur des vieux papiers jaunis sous le harnais, le parfum irrédentiste de l'encre éternellement noire - un article de Don C. Haynes sur les "gal singers" a Chicago il est écrit que Jackie,
jeune chanteuse blonde attirante et mystérieuse, était
off form au
Panther Room du Sherman Hotel eu égard à ses précédentes apparitions au Jump Town.
Toujours selon la presse, la jolie Jackie devait, en revanche, faire un malheur au
Jubilee. Le groupe était composé, outre Roy Kral au piano, d'un guitariste d'un bassiste et d'un bopper (je crois qu'il ne pouvait s'agir que de George Davis lui-même) à l'alto. Apparaissant,
avec des cheveux incroyablement longs, dans une robe de satin vert-émeraude dont-on pouvait
se demander si elle n’avait pas été cousue sur elle, elle pétrifia la salle de sa voix aux inflexions orbitales et lunaires, plantant son interprétation de Lonely woman dans le décor offert mais imprenable de son âme nue.
Les 4 faces qui ont pu être gravées pour le label
Aristocrat ne figurent dans aucune discographie et ont probablement disparu ou continuent, sublimes endormies, leur léthargie dans un monde intermédiaire, relégués par une conception déplacée du profit.
Jackie Cain et Roy Krall révolutionnèrent donc la pratique des vocalises sophistiquées et déjantées puis finirent par se marier, en juin 1949, formant alors un sextet qui aura la vie longue mais sombrera peu à peu dans l’onde accueillante et morbide de la variété, comme sombrait alors l'Amérique groggy sous l'empire implacable du
Rosemary Clooney Show.
Roy a cassé sa pipe en 2000, maintenant, Jackie est vraiment
seule.
Restent les magnifiques enregistrements de la première période - après, attention la casse - qui sont extrêmement rares mais indispensables, et, par exemple le formidable et révolutionnaire, irrésistible album gravé pour SAVOY en 1948 et intitulé, évidemment,
Jackie and Roy et dont la première face démarre en trombe avec
Euphoria.
EUPHORIA